N°31 LE HUSSARD SUR LE TOIT
de Jean Giono (1951)
Avant d'être un film de l'oncle de Guillaume Rappeneau, Le Hussard sur le toit fut d'abord un roman de Jean Giono, le Faulkner français (enfin, un gars du Sud, quoi). Notre collège de 6 000 électeurs a semble-t-il été fortement influencé par les livres qui ont été adaptés à l'écran. Pourquoi croyez-vous que Le Mépris, Sous le Soleil de Satan, Autant en emporte le vent ou Le Nom de la rose apparaissent dans ce Top 50 du siècle ? Parce que les gens les ont vus au cinéma, ce qui est moins fatigant que de les lire.
Or un vrai chef-d'œuvre de la littérature ne doit pas être adaptable à l'écran, il est fait pour rester écrit : personne n'a jamais réussi à tourner le Voyage au bout de la nuit, Ulysse ou Belle du Seigneur. Mais enfin je m'égare, ce ne sont pas mes oignons, revenons au Hussard sur le toit, son roman le plus stendhalien.
Et d'abord, que fiche ce hussard sur un toit ? Eh bien, il fuit une épidémie de choléra en 1838, à Manosque, ville natale de Giono. Il s'appelle Angelo Pardi (à ne pas confondre avec Branduardi qui n'est pas hussard mais barde sarde). Angelo est un Italien qui traverse la Provence jonchée de cadavres bleus en frictionnant les malades pour leur sauver la vie, une sorte de Fabrice del Dongo qui se prendrait pour le docteur Ross dans Urgences. Il tombe amoureux de Juliette Binoche, pardon, de Pauline de Théus, et ensemble ils bravent tous les dangers, mais voici qu'elle tombe malade, et Angelo la soigne, c'est-à-dire la frictionne, la frotte, sur les pieds, les jambes, les cuisses, il remonte, le ventre, hum hum, très chaud, et elle le tutoie alors que lui la vouvoie, mais il la ramène chez son mari, car il est homme d'honneur (il ne serait pas un peu « hormosessuel », comme dirait Queneau?).
Nous sommes donc entraînés dans un road-book écolo (et parfois démago) aux rebondissements nombreux, avec de la générosité en veux-tu en voilà, des personnages vaillants et bons, le tout assaisonné de terreur, de violence, de courage, de paysages presque aussi majestueux que dans le magazine Côté Sud. Conclusion : même quand c'était un livre, Le Hussard sur le toit était déjà un film. Je préfère le pascalien Un Roi sans divertissement.
Evidemment, si l'on creuse un peu, Giono a surtout voulu créer un vrai héros de roman, comme on n'en fait plus. Son pacifisme prônant le retour à la terre lui a valu d'être emprisonné à la Libération en tant qu'inspirateur du vichysme. Quelle idée aussi d'accepter d'être publié dans un journal qui s'appelle La Gerbe ! Après guerre, il invente donc un homme parfait, qui passe au travers de toutes les catastrophes avec un sang-froid exemplaire — l'homme qu'il n'a pas été ? Ce faisant, il est un peu l'ancêtre des « hussards » (Nimier, Déon, Haedens lui rendront d'ailleurs de vibrants hommages). Il prône une littérature non pas de droite mais de droiture, tout en réhabilitant le picaresque à la Dumas, et ses aventuriers à tête haute.
Et puis comment ne pas craquer devant cette belle histoire d'amour non consommé (comme, drôle de coïncidence microbienne, dans L'Amour au temps du choléra de Garcia Marquez). Les plus belles passions sont celles qui n'ont pas lieu : si Pauline avait finalement largué son mari pour s'installer dans un F3 de la banlieue de Turin en compagnie du bel Angelo, serions-nous en train d'en parler? Bien sûr que non, et le film eût été intitulé « Affreux, sales et méchants ».